5 questions à un Pépin

5 questions à un Pépin

Entre exaltation, stratégie, fatigue, navigation sous spi et compétition, notre Pépin national nous a déjà fait vivre de grands moments. C’est précisément après 9 jours, 2 heures, 14 minutes et 11 secondes de course effrénée que Benjamin a posé le pied à Las Palmas aux Canaries pour cette première étape de la Mini Transat 2019 ! 

Cette première étape signifie l’aboutissement d’un projet monumental. Dès les toutes premières heures de course, Benjamin a répondu présent, affichant une seconde place à la carto puis oscillant entre la 5ème et la 12ème place. Des conditions musclées avec des vents allant jusqu’à 30 nœuds ainsi que de longues heures de pétole dès la sortie du Cap Finisterre ont mis la flotte à rude épreuve. « Grâce à la course, tu vas chercher des ressources et des limites qui sont inenvisageables dans la vie de terrien. » explique Benjamin. « Ce n’est pas le fait de terminer devant l’autre qui m’excite le plus mais le fait que la compétition incite à aller chercher plus loin. » Pourtant, Benjamin a tenu bon dans le peloton de tête affichant une détermination et un mental d’acier. Aujourd’hui, notre Pépin a quelques jours devant lui pour se remettre de ses émotions, se reposer et songer à la seconde étape qui débutera très bientôt.

 

Après 2 ans d’effort, de compromis, de travail, on se trouve aujourd’hui à l’aboutissement d’un projet monumental. Quel serait ton bilan à chaud de ces deux dernières années de préparation riches en apprentissages et en émotions ?

Après la Transgascogne, j’ai justement essayé de faire le bilan de ces deux dernières années. J’avais gardé en tête un élément important que le coach nous avait mentionné, à savoir « la Mini Transat, la traversée de l’Atlantique, doit être uniquement la cerise sur le gâteau ! Avant de partir, vous devez être contents de votre projet avant même de prendre le départ pour la transat. » Il peut se passer tellement de choses durant la transat qu’on ne doit pas se mettre d’objectif de performance sur la transat en tant que telle. Le projet doit être réussi pour autre chose que simplement le fait d’arriver l’autre côté. Donc quand je regarde dans le rétroviseur, même si j’ai été déçu après la Transgascogne, je me dis que c’est quand même ultra positif. Si on m’avait annoncé cette évolution, cet apprentissage et ces résultats quand j’ai commencé, j’aurais signé de suite !

Quand je fais le bilan, il y a un an et demi entre l’épisode hernie discale, le lancement du projet pour le moins compliqué, le fait de ne jamais avoir fait de solo et de découvrir tout cet univers de course au large… C’était pas gagné ! Pourtant, cette saison, d’un point de vue performance et résultats pur, n’était pas si mal. J’ai fait deux fois 5ème, puis ça a été en dents de scie. Soit j’ai fait de très bons résultats, soit de très mauvais, voire un abandon. Donc j’ai un peu tout vécu durant cette année.

« Le bon résultat de la première course de l’année m’a donné goût à la compétition ! »

 

D’un point de vue compétition et navigation, ta saison a été en effet assez irrégulière avec à la fois de très bons et de mauvais résultats. Cependant, par la force des choses et à travers la définition même de la course au large, tes résultats dépendent non seulement de tes propres capacités physiques, d’une certaine stratégie, mais aussi et surtout des conditions. Comment gères-tu ce facteur très aléatoire que sont les conditions climatiques ?

C’est toujours un peu la même chose, il s’agit avant tout d’un travail mental. Ce fameux « moral stable » est la première chose dont on m’avait parlé à la fin de la première course durant laquelle je n’avais absolument pas eu ce moral stable justement ! (rires)

Il se passe tellement de choses sur l’eau, on est tellement dépendants non seulement des éléments mais aussi du bateau, de la préparation, s’il y a du vent, pas de vent, des éléments de course, que c’est un véritable travail psychologique afin de rester, quoiqu’il arrive, focalisé sur l’objectif final. De plus, cette année, pour moi, a été très axée sur la performance, chose que je n’avais pas du tout envisagée au tout début. Le bon résultat de la première course de l’année m’a donné goût à la compétition !

En voyant que je pouvais terminer 5ème en bossant beaucoup cet hiver, j’ai compris que les efforts pouvaient payer. Donc en début d’année, j’ai révisé mes ambitions en les axant davantage sur la performance. Mais tout ceci m’a joué des tours parce que sur certaines courses, j’étais moins bien aligné, parce que je mettais mis trop d’attente dans la performance et pas assez sur l’essence même de ce projet, à savoir l’aventure, la contemplation en mer, les émotions qu’on peut y vivre. Il m’est parfois arrivé d’oublier pourquoi je m’étais lancé dans ce projet au tout début et ça m’a joué des tours. Je ne sais pas si c’est propre à moi ou pas, mais lorsque je fais des bons résultats, j’oublie la compétition et la course. Je suis uniquement focalisé sur le plaisir que je prends en mer, sur le plaisir d’aller vite, non par pour la compétition mais pour l’adrénaline que ça provoque. Lorsque je  me mets dans cet état d’esprit, le résultat de la course est bon. Au contraire, quand je vise une performance dès le départ, je ne fais pas de bons résultats. Et, en ça, la Transgascogne a été un bon exemple pour la transat ! La transat, je me répète tous les jours : « Je n’ai pas d’objectif de performance. Ce que je veux, c’est ne pas oublier pourquoi je me suis lancé dans ce projet au départ et prendre un maximum de plaisir sur l’eau et être tout le temps heureux sur l’eau. » Je me dis que si j’arrive à multiplier les petites moments de bonheur sur l’eau, à la fin, la performance sera là, sans vraiment l’avoir programmée.

« Si tu joues à fond le jeu de la course, c’est aussi une marque de respect pour la Mini Transat. »

 

Pour les courses précédentes, notamment pour la Select, la Mini en Mai et la Fastnet, tu disais : « J’y vais sans pression avec l’objectif de me faire plaisir et de bien naviguer. » Aujourd’hui, avec tous les efforts que tu as fait, quelles sont réellement tes priorités et tes objectifs sur la Transat ? Est-il difficile de trouver l’équilibre nécessaire entre l’esprit de compétition et l’envie de se faire plaisir ?

La première année a été plus facile à gérer pour moi justement parce que je n’avais pas cet esprit de compétition, c’était l’année de la découverte, je n’avais aucune attente en terme de performance, je n’avais aucune idée que je pouvais entrer dans le top 10 et jouer avec les très bons. Chaque début de course était une découverte supplémentaire, je ne savais pas à quoi m’attendre donc c’était plus simple à préparer et à gérer pour moi. ça s’apparentait plus à ce que j’avais connu avant, soit de l’aventure pure.

La première année était synonyme de saut vers l’inconnu. Il y a eu deux étapes dans le projet. Cet hiver, j’ai voulu jouer le jeu de la course au large et de la Mini Transat. Je me suis beaucoup entraîné, j’ai passé beaucoup de temps sur l’eau et j’ai passé pas mal de temps à préparer le bateau. La première course de la saison a été la réponse à tout ce travail. J’appréhendais énormément, mais finalement mes efforts ont payé. J’ai été très heureux et ça m’a conforté dans le fait que le travail paye vraiment. Donc ce début de saison a changé le projet. Après la première course de l’année, j’avais envie de bien faire sportivement, chose que j’avais pas en tête avant. Il y a toujours eu une dimension sportive dans mes aventures mais jamais d’idée de performance. Durant le tour du monde, il s’agissait plus d’exploration, d’exploration de l’autre et d’exploration intérieure. Ici, la magie de cette Mini Transat, c’est que c’est une course. Il se trouve que si tu joues le jeu de la course à fond, c’est aussi une marque de respect pour la Mini Transat. À partir du moment où c’est une course, le but c’est aussi de finir le mieux possible. L’objectif, pour moi, n’est pas de finir numéro 1, mais de finir dans un classement qui est le meilleur classement que j’aurais pu faire.

Grâce à la course, tu vas chercher des ressources et des limites qui sont inenvisageables dans la vie de terrien. Ces ressources et ces limites, tu vas les chercher seulement parce que tu es en course et que tu sais que tes copains à côté vivent la même chose. C’est ce que j’ai découvert et ce qui m’a plu dans la compétition. Ce n’est pas le fait de terminer devant l’autre qui m’excite le plus mais le fait que la compétition incite à aller chercher plus loin. Je trouve ça génial !

« Ce n’est pas le fait de terminer devant l’autre qui m’excite le plus mais le fait que la compétition incite à aller chercher plus loin. »

 

Aujourd’hui, ton objectif a clairement évolué donc ?

Tout à fait. Je refuse sans doute de me l’avouer parce que c’est plus facile de se dire que l’objectif est uniquement de bien naviguer et de prendre du plaisir, mais effectivement, maintenant, il y a aussi cette envie de bien faire sportivement.

J’essaie tout de même de garder en haut de ma liste des objectifs celui pour lequel je me suis embarqué dans cette aventure, soit cette soif de découverte, d’aventure, d’exploration intérieure et de plaisir en mer… Je me rappelle notamment d’un moment incroyable que j’ai vécu en mer avec des baleines en mer récemment… Ce sont pour ces moments que je me suis lancé là-dedans ! J’aime tout ce qui gravite autour de la course au large, c’est-à-dire la météo, la préparation mentale, la nutrition, la préparation physique, la stratégie, la vie à bord…. Ce sont tous ces aspects qui me plaisent dans la course au large. Je n’ai pas eu le sentiment d’être plus heureux en passant la ligne d’arrivée en étant 5ème qu’en finissant 10ème. Par exemple, sur la course Les Sables-Les Açores-Les Sables (SAS), le passage de la ligne d’arrivée a été beaucoup plus fort dû à ce que j’avais vécu en mer. Malgré l’éprit de compétition qui est né en moi cette année, au fond de moi, la course est avant tout une aventure et un jeu. Le jeu entraîne le plaisir, le jeu te donne envie d’aller plus vite mais tout ne doit rester qu’un jeu. Pour réussir à être performant, il faut que je garde en tête que c’est un jeu.

« Malgré l’éprit de compétition qui est né en moi cette année, la course est avant tout une aventure. Pour réussir à être performant, il faut que je garde en tête que c’est un jeu. »

 

Autant de concurrents que de manières de gagner des courses donc. Et tu as trouvé la tienne. Quels sont les moments intenses qui t’ont marqué durant cette saison ?

Il y en a deux qui me reviennent instantanément. Le premier moment intense a été La Select, la première course de l’année, durant laquelle j’étais pleinement heureux de me dire que le travail avait payé. Avant de prendre le départ, je sentais une appréhension, qui n’était pas liée à la course mais c’était de me dire que je pouvais finir 45eme après 3 mois à préparer le bateau et à m’entraîner. Donc cette course est réellement la course référence pour moi parce que je me suis senti tout le temps bien sur le bateau, j’ai fait des erreurs mais je ne me suis pas affolé. Au contraire, je relativisais. Je sentais que c’était possible de revenir. J’avais fait un bon départ, j’avais merdé en milieu de course, et en fin de course, j’avais le sentiment d’avoir bien navigué et le résultat sportif était au rendez-vous. Donc l’après Sélect a été un gros moment de la saison.

L’autre fait marquant, c’était la Mini en Mai durant laquelle je me fais prendre par le courant. Je rate une bouée alors que je devais être 2ème ou 3ème à ce moment-là. Première haie à passer ! Et sur la deuxième étape, j’arrive à me remobiliser, en me disant que c’est un apprentissage, mais je suis contraint d’abandonner. Et pour moi, l’abandon est quelque chose qui me tétanise depuis le début. Je me rappelle des secondes où j’ai décidé d’abandonner durant la Mini en Mai, j’étais en pleurs sur le bateau, et je criais à voix haute, « on n’abandonne pas dans la vie ! »

L’abandon est quelque chose que j’ai vraiment chevillé au corps, donc cet abandon m’a un peu fait mal psychologiquement. J’avais l’impression de ne pas avoir le droit d’abandonner. Je me rappelle que durant la SAS l’année dernière, il y a eu pleins de moments difficiles, mais à aucun moment, je n’ai pensé à abandonner la course. Et là, le fait d’avoir pu abandonner m’a rappelé que la course au large, c’était ça aussi. C’était beaucoup d’énergie, de temps, d’implication mais qu’en un claquement de doigts, tout pouvait s’arrêter. Et je crois que c’est important à garder en tête pour la transat. C’est pour ça qu’il est important d’être content de son projet avant le départ, car deux ans de préparation peuvent s’arrêter à tout moment. Le fait d’en avoir conscience avant de prendre le départ est important.

 

Photos : WAKAL Films