15 Nov Départ à l’abattée
15 Novembre, 04H11 TU, 18ème position :
Sur mon petit carnet étanche posé sur le rebord de la table à carte, j’y ai gribouillé une note : « cette nuit, j’ai appris une chose : un Vendée Globe, ça se joue à un détail ». C’est d’ailleurs ici que le diable s’y niche avait coutume de nous répéter mon père, qui le tenait sans doute de la bouche de mon grand père à vrai dire, dont le bon sens paysan n’avait d’égal que sa charismatique discrétion.
Cette formule n’a peut être jamais pris autant de sens que cette nuit.
Il est 3h TU. Dehors, la lune danse avec l’obscurité. Les étoiles jaillissent entre les quelques grains qui baladent avec eux des souffles tonitruants, parfois chargés de pluie. Je viens de m’installer à la traditionnelle « « banette », à savoir mon pouf jaune qui héberge mes quelques siestes réparatrices et je dois l’avouer des rêves dont seules les nuits en mer ont le secret.
Theophile se met à accélérer, gîter et siffler. Un sifflement qui m’indique qu’il est déjà le moment d’aller jeter une tête au dessus de la casquette voir ce qui s’y cache. Le ciel s’est assombri, les étoiles ne brillent plus que de l’autre côté de l’opaque nébulosité isolée. Le vent monte, il y a 25 noeuds ( 40 km/h). Lors de ce que j’aime appeler ma sortie extra- véhiculaire, je remarque qu’une écoute traîne derrière le bateau. Une simple écoute, une petite écoute mal sécurisée à son taquet, une vulgaire écoute laissée sans surveillance comme une mère abandonne son lionceau dans la savane où guète le danger.
Elle menace de se prendre dans la quille alors je décide de ralentir le bateau. De le mettre plein vent arrière. De prendre la gaffe à l’intérieur et d’aller m’étendre de tout mon long au dessus de la filière pour saisir la ficelle égarée. Le vent monte encore. Le grain me submerge avec la même rapidité que l’inquiétude me saisit. Le bateau accélère encore, part en surf, une vague l’embarque à la contre gîte… Je cours vers le cockpit. Poseidon m’a entendu j’en suis sur : « Non non non non pas ça, noonnnnn ! »
Il est trop tard. Je le sais, mon compagnon va partir à l’abattée. À l’abattée, c’est comme si vous étiez tranquillement installé à votre table de petit déjeuner, et que quelqu’un décidait soudainement de retourner votre maison pour l’installer sur le toit.
Théophile est couché sur l’eau. Le mât se risque à de légers bisous à la crête des vagues. Mon immense voile de 210 m2 à l’avant ne résiste pas au grain qui forcit encore. À ce moment là, chaque geste compte et l’ordre dans lequel ils sont réalisés peuvent avoir droit de vie ou de mort sur l’intégrité de ma coquille de noix. Je sécurise ma bastaque, ramène la quille au milieu du village, choque ma grand voile qui par miracle abrite encore toutes ses lattes intactes, je roule la voile à l’avant, le bateau se redresse. La grand voile claque et repasse violemment de l’autre côté. Il vient de s’écouler 50 minutes. Le bateau est indemne. Le marin est épuisé.
Comme un message que le Vendée Globe voulait me chuchoter au 4e jour de ce tour du monde: te voilà bien présomptueux jeune garçon de t’emberlificoter dans ce genre de situation si tôt dans ton aventure. Ton bien souvent exaucé: « ça va le faire » ne suffira à me séduire pour te laisser boucler la boucle.
Le vent est tombé. Le calme est la. La mer s’est apaisée. La sérénité retrouvée. Et comme si mon esprit se l’était interdit depuis le passage de la ligne de départ dimanche dernier, mon corps s’autorise soudainement à souffrir. J’ai les bras enquilosés, la bouche sèche, le cou bloqué. La fatigue m’assomme.
Une emmerde par jour disait Mich Dej. Mon statut de bizuth suggère une leçon par jour !
Si le diable se cache bien des les détails, la réussite elle se camoufle dans la discipline !
Discipliné. C’est un mot que je n’ai jamais porté dans mon cœur car je le pensais me détourner de la liberté. Il est en réalité un indispensable à la jouissance de l’impromptu.
Je vais m’y atteler.
Les 3 prochains mois, je veux avoir le geste juste, celui du chirurgien qui opère, du boulanger qui pétrie, du forgeur qui devient forgeront finalement 😉 Le geste habile, lent car minutieux. Car comme Maxime Sorel a su nous le rappeler ces dernières 24 heures, l’éphémère nous guette. Et si la souffrance est temporaire, l’abandon lui, est définitif !
Bon vent à tous !
Texte du journal de bord de Benjamin pour le Télégramme.
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