Le dico de Jean Le Cam

Le 30.11.2024, 23H12 TU, 21 ème position :

C’est dimanche, et comme chaque dimanche désormais depuis le départ du Vendée Globe, le rituel de l’écriture vient frapper à la porte de mon embarcation pour tenter de poser sur le papier l’indicible.

Aujourd’hui, il prend la forme d’une maxime, enseignée lors de ma toute première navigation en Imoca, par un fameux irréductible Finistérien, qui décidément n’est pas prêt à lâcher la place de leader des bateaux « à la dérive » : un certain Jean Le Cam.

« Une manœuvre réussie est une manœuvre sans soucis! » me répétait-il ! Un adage dont le sens est venu titiller son paroxysme cette nuit ! Je me dis qu’il a quand même le sens de la formule ce Jean. Alors plutôt que de vous parler de la relation de partage que nous avons tissée ces dernières années en préparant mon projet à ses côtés, j’ai préféré vous raconter ma nuit en y distillant toutes les petites « Lecamerie » entendue depuis 3 ans au détour d’une sortie en mer, d’un dimanche au chantier, ou d’un dîner improvisé !

Il est 23h12 TU. Le vent a légèrement molli, la mer me paraît praticable, l’air est chaud et donc moins dense qu’en période hivernale … alors je me dis que je pourrais peut être tenir mon grand spinakker de 360m2 pour filer tout droit vers le Cap de Bonne Espérance !

Car si l’essentiel, c’est d’arriver, il faut aussi parfois savoir prendre des risques mesurés, « car la performance, c’est l’adaptation aux situations qui changent ! »

« Yakinkin les rintintins, tu envoies ton Pépin, mais si tu fais le kéké, c’est la boîte à claque assurée ! » Alors je visualise ma manœuvre, et puisqu’avant « de commencer un dossier il faut l’avoir terminé sur le papier », je rédige sur mon petit carnet chaque étape de la future marche à suivre à laquelle je vais m’atteler avec minutie. Le diable se nichant dans les détails, je m’efforce de penser à tout!

Il fait nuit. Ma frontale vissée sur ma tête, je répète chaque geste avant de le réaliser. 39 minutes s’écoulent. Le grand spi est en l’air. Benjamin a envoyé le Pépin. L’opération est un succès : une manœuvre réussie est effectivement une manœuvre sans soucis. Je prépare tout de suite le bout d’affalage autour du winch, au cas où, et parce qu’une manœuvre est terminée lorsque la suivante est préparée ! Et voilà, « l’histoire est dans le cul de l’âne et on en parle plus ! »

Dans la nuit, le vent monte. Il y a 20 noeuds, des phases à 22/24 noeuds. C’est ce qu’on appelle dans le jargon de la course au large : « haut de range ». En gros, comprenez qu’on est à une lueur de venir « tutoyer la connerie ». C’est alors que l’angoisse s’installe et c’est pire que la peur. Car la peur pousse à agir quand l’angoisse paralyse.

Je suis assis à la table à carte, prêt à bondir dans mon cockpit pour choquer une écoute ou corriger le cap en cas de sur-gîte. C’est sur que « je ne vais pas attendre d’avoir fait dans mon slip pour serrer les fesses ». Je scrute la moindre risée, le moindre minuscule renforcement du vent qui viendrait me rappeler que si c’est trop chaud patate, « t’envoie ton petit Genak et en avant les merlans ! »

Je passe ma nuit à observer les nuages, à télécharger des images satellites afin de déceler le moindre danger. Je suis sur le fil mais en équilibre et grappille des miles sur la route en creusant petit à petit l’écart avec mes concurrents directs. Je me persuade que « ceux qui font comme tout le monde ont simplement eu la fainéantise de se faire leur propre opinion » sans oublier qu’il est facile d’être une étoile filante mais que la difficulté est de briller longtemps.

Et puis les heures défilent. Étonnamment, l’être humain s’habitue à tout! Et puisque le pessimisme est d’humeur et l’optimisme de volonté, je réalise que le bateau est équilibré, que le spi ne claque pas, que Théophile va vite sans y laisser de plumes alors quand le bateau travaille sans souffrir le marin peut aller se reposer. Et puisque « le bonheur, c’est quand les emmerdes se reposent et à ce moment là il est urgent de ne pas les réveiller », je termine de tapoter ces quelques lignes qui vous sont destinées et vais moi aussi, tacher d’aller pour quelques heures j’espère, rejoindre les bras de Morphée !

Bon vent à tous !

 

Carnet de bord rédigé pour Le Télégramme.

 

SUIVRE LA COURSE :