08 Déc Infernal paradis austral
Dimanche 08 Décembre, 11H43 TU, 22ème position :
« Il n’y a pas d’homme plus complet que celui qui a beaucoup voyagé, qui a changé vingt fois la forme de sa pensée et de sa vie. »
Cela fait désormais 27 jours que je suis en mer et la pensée de Lamartine n’a pas tardé à s’inviter à la grande table des citations de ce tour du monde, tant cette phrase résonne particulièrement depuis mon entrée dans les mers du sud !
D’abord par la dimension exploratrice de l’exercice. Observer se dessiner sur la carte l’île aux Cochons, celle de la Possession ou encore les Kerguelen, me remplit d’une joie pure et singulière. L’esprit Lion, le cœur enfant !
C’est aussi le temps où la solitude fait doucement son œuvre et vient délicatement me ramener à un état primitif, animal, instinctif. Boire – Manger – Dormir. Le même adage qu’un lionceau dans la savane. Être lucide pour se prémunir du danger. Depuis le passage du Cap de Bonne-Espérance, porte d’entrée d’un nouveau monde inexploré si inhospitalier que dans le cœur, l’appréhension s’installe à l’heure où les albatros célèbrent par de grandes gesticulations majestueuses mon intronisation. Un monde dont on m’avait bien souvent parlé, mais que seul celui qui y a été peut juger de sa juste grandeur. Je me sens si privilégié d’être là. Si loin de tout et pourtant si proche de l’essentiel.
Ici, dans cet univers si féerique qu’on appelle Le Grand Sud, la vie de terrien a disparu. L’empreinte de l’homme n’est plus. Mon ego est venu se fracasser aux portes de ces dépressions australes. Mon IMOCA de 18 mètres était immense, lorsqu’il reposait à quai aux Sables-d’Olonne, à l’aube de sa quatrième circumnavigation. Mais ici, il n’est rien, si ce n’est l’humble et minuscule capsule de carbone désireuse de déambuler discrètement par quelques empannages furtifs pour ne pas se faire repérer des tempêtes Antarctiques.
Ici, à travers la fougue des déferlantes – qui inondent d’ailleurs jusqu’à l’intérieur de mon bateau la nuit dernière – je ressens la grandeur de la nature et son indifférence à mon égard. Elle n’a que faire de ma présence ici. Elle n’a ni orgueil ni suffisance, pas de moral, pas d’état d’âme, ni de mémoire. Elle vit, va et vient au rythme du firmament étoilé, indépendamment de l’être humain qui se risquerait à la visiter dans ces parages inamicaux.
Je comprends que ces tribulations de bout du monde ne sont en réalité qu’un prétexte pour ressentir l’existence dans tous ses sens, telle est la quête de ce nouveau chapitre de ce Vendée Globe.
Parfois, la course est mise entre parenthèses et je perçois que la compétition tire sa grandeur par la simple capacité à donner le meilleur de soi. Cette dimension grandiose qui administre la force à Tanguy Le Turquais de réparer trois lattes de grand-voile pulvérisées dans une manœuvre inopinée dans 50 nœuds par 50 degrés sud. Ce même éclat qui m’enjoint à bourlinguer dans les méandres des tunnels de Théophile, une éponge tenue dans mon bec, un seau accroché à la ceinture, crapahutant, me contorsionnant, à pleine vitesse, bondissant de haut en bas, écopant à bout de bras, refusant de ralentir ma monture pour cette mission d’assèchement, suite à l’invasion d’un raz-de-marée à l’intérieur de mon seul espace de vie encore sec jusqu’alors. La course n’a pas disparu. Bien au contraire. Elle n’a jamais été aussi belle ! Elle a enfilé une nouvelle tenue teintée d’une certaine forme de noblesse, dont la rivalité avec mes concurrents se transforme en sollicitude et compassion.
Lorsque la magie de la géographie nous amène à nous croiser à quelques encablures. La VHF (petite radio embarquée) reprend du service !
Les mots sont simples, directs, joyeux :
• Ça va mon vieux ?
• Tout va bien à bord ?
• C’est vraiment la guerre par ici ! Il a l’air quand même bien plus tranquille le père Jean au nord non ?
• C’est qu’il a l’expérience l’ancien ! On s’est fait avoir comme des bleus ! Allez prends soin de toi !
• Bon vent ma poule !
D’abord survivre ensemble pour reprendre la course si on s’en sort indemne. Tel est l’état d’esprit qui règne dans cet infernal paradis austral ! Je réalise ce qu’il faut aller chercher pour boucler cette boucle qui ne fait que commencer. La fatigue et l’épuisement sont là mais l’être humain s’habitue à tout ! Il paraît que ça se passe toujours mieux que ce qu’on avait imaginé ! Alors je range ma plume du dimanche au placard, et retourne dans ma jungle maritime !
Il est 11h43 TU. Nous sommes le dimanche 08 décembre. Théophile et moi galopons vers le nord. La prochaine dépression renommée « la Grosse Bertha » vient de nouveau nous rendre visite dans quelques heures, d’ici là, courage : Fuyons !
Bon vent à tous !
Journal de bord rédigé pour le Télégramme.
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