Rodéo des mers du Sud

09 Décembre, 6H14 TU, 26ème position :

Ces derniers jours étaient pour le moins exigeants, sinon chaotiques et assez éprouvants. On avait une très grosse dépression qui nous a roulé dessus, j’ai eu jusqu’à 50 nœuds. C’était surtout la mer qui était terrible, croisée dans 50 nœuds. Le bateau même sous-toilé faisait un espèce de rodéo là-dedans. A cela s’est ajouté le courant des Aiguilles qui est un courant hyper fort dans lequel il y a deux / trois nœuds qui descendent de l’Afrique du Sud et je me suis retrouvé à traverser ce courant avec le vent à contre-courant qui levait une mer absolument chaotique. Le bateau partait en surf, en survitesse, c’était dur la vie à bord et en plus assez dangereux pour le bateau car ça tapait dans tous les sens. Je me demandais comment le bateau pouvait tenir là-dessus.

J’ai eu la bonne surprise d’avoir une vague qui a littéralement englouti l’intérieur du cockpit. Je n’avais pas fermé la porte, l’eau est venue sur le pont, en fin de vague le bateau a planté et l’intégralité de la vague est rentrée dans le bateau. Donc : l’ordinateur, le coupe circuit, de l’eau dans le bloc moteur, les batteries etc.

BRANLE-BAS DE COMBAT ! Obligé de tout écoper, tout sécher le plus vite possible car j’avais peur des dommages collatéraux électroniques surtout. J’ai 9 petits mètres carrés qui sont la prunelle de mes yeux et de voir ce petit espace de confort totalement inondé c’était un vrai coup au moral. Toute ma nourriture était trempée, mon pouf était mouillé, ma couverture… Je vous passe les détails mais ce n’était vraiment pas une partie de plaisir ! Forcément tout cela se passe dans 40 / 50 nœuds, un univers totalement apocalyptique, c’est assez incroyable : la nature reprend ses droits. La nature s’en fiche qu’on soit là ou pas là, elle fait sa vie et ça ne dérange personne. Les albatros jouent avec la force du vent, tout le monde est très à l’aise là-dedans et nous pauvres petits humains on vient s’y confronter avec nos gros egos, nos gros bateaux qui font énormes sur les pontons mais qui ici sont vraiment minuscules. C’est une belle leçon d’humilité ces mers du Sud !

Hier j’ai eu dix heures de répit avec le petit passage de dorsale entre deux dépressions. J’ai pu sécher le bateau, me reposer, ranger, nettoyer, mettre du chauffage, ouvrir, aérer. Un pur moment de bonheur au soleil !

Depuis cette nuit on est repartis dans une nouvelle dépression. C’est assez marrant à la carto. Il y a le père Jean, le « vieux sage » qui depuis le début a une route très nord. Ça me fait rire car depuis le début du Vendée Globe, le seul truc que j’ai emmené, ce sont des documentaires animaliers. Je me rends compte que la flotte du Vendée Globe se comporte comme des petits animaux. Jean, c’est un peu l’éléphant, il a la mémoire de toute son expérience inconsciente, c’est à dire qu’il sait intuitivement où éviter le danger, il sait qu’il fallait se positionner au nord ! Et nous, tous les jeunes bizuth on s’est tous embarqués dans des 45/50 nœuds en se disant « qu’à cela ne tienne ça va passer » et on a appris la leçon à un coût important ! Moi j’ai eu le bateau rempli d’eau, Guirec c’est à moitié retourné, Tanguy a cassé des lattes. Tout le monde a mangé son pain noir et j’imaginais Jean observer ça d’un regard rieur en se disant « ils sont marrants ces p’tits jeunes ! ». Tout ce petit groupe refait cap au nord, comme une façon de dire « c’est bon, on a compris, on va faire un peu plus de route mais on va être un peu plus safe ».

C’est assez rigolo de voir le comportement de la flotte, et la régate dans cette catégorie de bateaux est géniale, il y a un niveau de jeu qui est très élevé qui s’est un peu calmé depuis 24h, mais toutes les 4 heures le leader change, il y a des stratégies très différentes. C’est vraiment génial la course dans la course.

Toujours autant de plaisir, même si moi qui suis quand même toujours plutôt enjoué en mer, je ne vous cache pas que les 48 dernières heures étaient dures. Je n’étais ni triste, ni malheureux, ni je me demandais ce que je foutais là, mais j’avais mal. Il a fallu faire pas mal de manœuvres dans du vent fort et ça demande pas mal d’énergie. J’avais les bras et les avant-bras ankylosés, de fatigue. Ça nous pousse quand même dans des retranchements qui sont intenses. Là ça va mieux mais c’était quelque chose ! Donc voilà, l’intronisation dans le grand sud c’est chose faite !

Désormais Cap vers l’Australie ! Voir se dérober sur la carte les îles Crozets, les ¨Îles Mc Donald, les Kerguelen, on fait quand même un voyage extraordinaire ! Je rêve de passer à côté d’une île ! Je me suis mis un waypoint, j’aimerai bien passer à côté de l’île Saint-Paul. Tu te demandes comment une terre peut exister à cet endroit-là !

 

A tantôt !

 

SUIVRE LA COURSE :