15 Déc L’enfer de la quille
Dimanche 15 Décembre, 19H36 TU, 23 ème position :
Ces dernières heures ont été les plus intenses que je n’ai jamais vécues sur un bateau.
Je ne sais pas si ça s’est vu sur la carto, j’ai passé une douzaine d’heures à vitesse assez réduite. La nuit dernière, à 19H30 TU, en plein milieu de « notre » nuit, il y avait pas mal de vent et de mer, je ne m’étais pas beaucoup reposé la journée, je décide d’aller faire une sieste dans mon fameux pouf. Je fais ma sieste 30 minutes, en plein milieu j’entends un énorme claquement. Je me réveille en sursaut, je sors de la bannette, je vois de l’huile exploser partout dans le bateau, la quille qui part sous le vent. Exactement le même scénario que pendant la Transat CIC où j’avais cassé mon vérin hydraulique qui tient la quille, et qui était venue à l’arrière fracasser l’intégralité du fond de coque. Là mon cerveau a tout de suite fait la connexion en pensant que c’était un remake de la CIC. Instantanément ça voulait dire une fin de Vendée Globe et une grosse difficulté à ramener le bateau quelque part en sécurité.
Je ne vous fais pas écouter le cri de désespoir que j’ai poussé à ce moment-là. Je ne voulais pas aller voir, je répétais « je ne veux pas aller voir, je ne veux pas aller voir ». Au bout de quelques secondes j’ai bien été obligé d’y aller. Il fallait que j’arrive à fixer la quille au centre avec un petit système de fourchette. Pour cela, cela voulait dire aller au niveau de la quille et mettre les doigts dans la cathédrale pour faire descendre deux fourchettes qui bloquent la quille au milieu. Une fois que ça a été fait, il fallait rouler les voiles pour sécuriser le bateau et ensuite pouvoir établir un diagnostic sur ce qui s’était passé. Le diagnostic a été assez vite posé : il y a une fixation sur le vérin qui probablement suite à une surpression et un mauvais sertissage a littéralement explosé et est venue fracasser une partie du matériel du vérin et bien sûr évacuer toute l’huile.
Toute l’équipe technique s’est mobilisée toute la nuit, Hydroem qui est le fabricant du vérin a aussi été sollicité ce matin dès 7H30, bien relayés par Jean le Cam qui a été incroyable, qui m’a accompagné toute la nuit, qui m’a trouvé des solutions, amené des idées. Il m’a appelé toutes les heures cette nuit.
J’ai essayé de filmer un peu tout ça ce sera plus facile de voir en image ce qui s’est passé mais bref : un travail acharné de titan sans repos, 12 heures d’efforts.
Forcément, grosse épée de Damoclès au-dessus de la tête. Je suis un peu fatigué, totalement épuisé, j’ai le corps ankylosé. Je n’arrive plus à serrer les mains. C’est le contre-coup à la fois physique et émotionnel parce que je suis passé par tous les états. J’ai vraiment cru que le Vendée Globe c’était terminé. Une bonne partie de la nuit, je regardais comment aller en Australie à Perth pour que l’équipe puisse intervenir sur le bateau. Je pensais déjà à finir ce tour du monde hors course. Je suis passé par tous les états émotionnels.
Je me suis forcé à renvoyer de la toile, il y a déjà 25 nœuds, le front revient mais la mer est plutôt calme et praticable. Je suis dans des conditions où le vent vient de la gauche, donc bâbord amure, à une allure où le vérin a peu de pression. Je suis plutôt sécurisé sur ce bord-là, j’ai l’impression qu’il ne va pas se passer grand-chose.
Là on a deux jours comme ça jusqu’à la Tasmanie et ensuite on a une zone un peu plus calme. Je pense que ce sera pendant cette zone de calme qu’il faudra tout passer en revue, vérifier qu’il n’y a pas de surpression : donc vigilance maximum pendant les 48 prochaines heures. Maintenant il faut que je me repose mais j’ai un peu le « traumatisme du pouf » : dès que je m’installe dedans le moindre bruit me fait sortir en sursautant de la bannette. Il va falloir que j’arrive à régler ce petit traumatisme-là pour réussir à me reposer car si tout va bien il reste une moitié de tour du monde à faire !
Je suis tellement heureux et content d’être encore en lice pour le Vendée Globe et en capacité de faire la course même si j’ai perdu pas mal cette nuit c’était vraiment le cadet de mes soucis !
Ça m’a rappelé à quel point d’une seconde à l’autre tout peut basculer brusquement. C’est aussi ça le Vendée Globe, cette dureté là et la capacité à faire des choses dont tu ne te sentais pas capable. Je ne sais encore pas aujourd’hui comment le vérin peut être de nouveau à sa place avec tout ce qui fallait être fait. Un immense merci à mon équipe qui a été sollicitée toute la nuit, à Antoine et Michel de Hydroem qui ont été incroyables et à Jean évidemment qui sort toujours des solutions de son chapeau. Quelle chance !
Maintenant l’objectif est d’aller se reposer. Il y aura probablement un changement de voile dans le courant de la nuit. Je vais essayer de faire une manœuvre bien propre parce que là je n’ai vraiment pas la capacité à gérer un problème supplémentaire. Il va falloir que tout se passe bien pendant une dizaine d’heures. On est encore là !!!!
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