24 Déc Noël, seul en mer !
50’42 Sud 153’09 Est. 16h TU.
À l’heure de vous parler des réjouissances des fêtes de Noël, j’aurais aimé vous partager l’excitation grandissante de célébrer la nativité à l’autre bout du bout du monde, par 50 degrés sud, au beau milieu des terres australes. Vous souligner mon enthousiasme de vivre cette fête d’une manière si unique et originale. Vous amuser en vous parlant de mon plus beau costume à carreaux multicolores enfilé à la hâte et exposé fièrement aux albatros sur le pont de mon bateau, pour célébrer de manière colorée et le cœur enjoué cette douce commémoration chrétienne !
Mais il y a une chose que la mer distille à l’âme de manière immuable, c’est son implacable authenticité. En mer, on ne peut ni tricher, ni mentir. La mer vous attire vers la plus pure authenticité du cœur, avec ce qu’il héberge de plus exaltant et délicieux, et ce qu’il camoufle de plus abject et détestable.
Et si je suis totalement sincère avec moi-même d’abord, et par ricochet avec vous qui lisez ces quelques lignes, je dois vous avouer que le cœur n’est pas à la fête depuis quelques heures. Un malheureux « col barométrique » est venu m’engluer et stopper mon avancée vers le Cap Horn, là où tous mes camarades de jeu s’en sont extirpés pour filer vers l’Est !
Noël se célébrera donc au ralenti, et éminemment seul. Et il n’y a pas que dans la molle que je suis englué, car mon cerveau tourne en boucle et peine à savourer ce « temps calme » tant espéré lorsque les vents violents nous chahutaient Théophile (mon bateau) et moi, dans l’océan Indien ! Je ressasse, je refais le match dans ma tête, me morfonds face à l’avance que prennent mes concurrents de devant, et à l’inéluctable rattrapage de mes poursuivants. Cet inlassable sentiment de servir moi-même de dindon de Noël parfaitement farci !
Mais la plus grande des exaspérations n’est pas véritablement d’avoir perdu ces quelques places, car c’est le jeu de la régate. C’est que je ressens cette discrète honte de ne pas parvenir à savourer pleinement la chance qui m’est donnée d’être ici, à cet instant précis, malgré tout. J’ai cette petite boule dans le bas du ventre qui attriste chaque manœuvre, chaque clapotis de la douce mer sur ma coque de carbone, chaque vol tourbillonnant des albatros ou de cette queue de baleine aperçue lors d’une session de bricolage sur le pont !
Alors, voyez derrière ce costume multicolore l’immense et honnête palette arc-en-ciel des émotions que j’explore sur ce tour du monde. L’excitation, l’exaltation, la colère, la frustration, l’humiliation, la tristesse, la joie retrouvée, le rire nerveux, la délivrance, l’amour du jeu, la mélancolie, et par-dessus tout l’incroyable désir profond de me sentir proche des miens. Tous les ingrédients d’un digne repas de Noël finalement.
Comme ce Vendée Globe, la vie est imparfaite, parfois injuste sous notre regard, mais cette grande régate planétaire me rappelle chaque minute ces mots glissés à mon oreille : « Crois-moi, la seule chose que tu peux contrôler, c’est ta façon d’interpréter les événements. Si tu pars de l’idée que ce ne sont pas les choses, mais le jugement que nous portons sur elles qui nous fait souffrir, alors tu peux aspirer à prendre le contrôle de ta vie. Sinon tu es condamné à tirer sur des mouches avec un canon. »
C’est le propre de l’être humain de perpétuellement désirer une autre situation que celle dont il dispose ! Mais sans une ombre au tableau, je ne suis qu’une vulgaire silhouette placardée sur un planisphère. Le plus grand des courages, c’est d’être heureux malgré tout. Depuis plusieurs heures, je tâtonne parfois dans le noir, mais le plus beau des cadeaux de Noël est que je peux librement décider du sens à donner aux choses qui arrivent. Et cela, c’est au fond ma seule et unique ressource. Alors ce Noël se vivra dans l’instant présent avec l’espoir que cette promesse ne s’endorme pas à l’aube au pied du sapin !
Et puis, la mémoire de la souffrance s’efface, comme pour alléger sa valise pour partir en voyage ! Cette mésaventure fait encore davantage résonner en moi le manque des miens. Je ressens viscéralement l’immense nécessité d’être ensemble. Vous n’imaginez pas à quel point je rêve d’un simple moment familial ou amical, de ressentir cette chaleur humaine embaumer la pièce, entendre des rires se propager du salon d’à côté, écouter des débats enflammés autour d’une table savoureusement décorée. Et peut-être juste ne pas parler, observer, être là et simplement me nourrir de l’instant.
Se réjouir dans l’imperfection : une dinde trop cuite, une famille recomposée complexifiée, un être absent autour de la table, un débat familial, les pleurs d’un enfant, une petite tristesse lancinante à accueillir … C’est peut-être ici que réside la magie de Noël.
Alors à tous ceux qui ont le privilège immense d’être entourés, je vous enjoins à savourer chaque petit moment de partage comme un cadeau absolu, et à tous ceux pour qui Noël ressemble parfois à un horizon embrumé, comme un moment de solitude, je vous embarque dans mon carré pour célébrer ensemble l’imperfection de la vie…
Je vous souhaite un très joyeux Noël ! 🎁🎄
Bon vent à tous !
Journal de bord rédigé pour Le Télégramme
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