Froid glacial à bord

Samedi 28 décembre, 21H24 TU, 21ème position :

 

Ici le jour se lève, il est 21H TU, on a eu la chance hier de passer le fameux antiméridien, c’est à dire que d’un claquement de doigts on a gagné 24 heures ! C’était le point le plus intrigant pour moi, au delà des trois caps et du point Nemo. Je trouvais l’exercice de rajeunir de 24 heures d’un claquement de doigts, moi qui suis toujours en quête de temps, j’ai trouvé ça assez génial de défier l’espace temps.

Ici les nuits sont très sombres, très noires, il y a vraiment tout l’environnement inhospitalier. La mer, le vent, les vagues et même les nuits qui sont très courtes mais d’une noirceur jamais vue. Il n’y a pas un semblant de lune, pas d’étoile. C’est sûr que l’absence d’être humain assombrit les horizons.

Je ne vous cache pas que je suis totalement frigorifié, au point que ça m’empêche presque de dormir. J’ai trouvé une nouvelle technique. Je m’endors en boule, comme en foetus, et je fais chauffer de l’eau bouillante dans une bouillotte et au-dessus de moi je fais un espèce de paquet cadeau avec une couverture de survie qui vient garder la chaleur. Je dors comme un petit animal blessé sous ma couverture de survie car il fait vraiment un froid frigorifique. Quand il faut sortir de là pour aller renvoyer une voile, choquer ou border, il faut une certaine dose de motivation. Là je viens de renvoyer le petit genak.

Depuis qu’on s’est sortis de notre zone de molle qui a vu s’échapper Jean Le Cam, le premier objectif était de reprendre la tête de la flotte des poursuivants. Pour ça, on a fait un joli coup le long de la zone des glaces sous spi. Il y a deux jours, j’ai changé quatre fois de voile, j’ai envoyé deux fois le spi, tout ça dans 6 degrés ! Même les doigts se gèlent, pour faire un noeud de chaise c’est compliqué donc les manoeuvres ne sont pas si évidentes que ça à faire. Par contre 4 changements de voiles en 12 heures ça réchauffe ! J’étais assez content car on a vraiment bien navigué et ça nous a permis de se recaler devant nos concurrents. Derrière il a fallu appuyer sur le champignon car on a encore une zone de molle, et alors une fois mais pas deux ! On a une dorsale qui nous court après et tout le jeu c’est de courir plus vite, ou au moins aussi vite que cette dorsale. Donc c’est pour ça que je suis pied au plancher depuis deux jours. J’ai bon espoir que dans les prochaines heures on remarque à la carto que Tanguy Le Turquais et Sebastien Marset, qui se sont échappés avec moi, commencent à ralentir alors que moi j’arrive à garder le système un peu plus longtemps.

Là j’ai renvoyé de la toile et je vais bientôt renvoyer GV haute. Ça appuie un peu, la vie à bord n’est pas facile, mais ca vaut le coup d’appuyer maintenant pour grappiller des milles.

Sinon, le moral est bon, à part ce froid glacial, tout va bien. Je commence un tout petit peu à me lasser de la nourriture. Je suis semaine 9, et il y a un peu moins d’engouement et d’enthousiasme à la nourriture, forcément je commence par ce que je préfère et j’ai un peu peur que la fin de semaine soit un peu difficile gastronomiquement parlant.

On a eu des beaux moments ces derniers jours, entre le passage de l’antiméridien, les îles Maquarie. On a failli se prendre un caillou dans les mers du Sud, un tout petit caillou, une espèce d’île aux oiseaux, c’était féérique mais on est passé à deux trois longueurs de bateau. Les fonds ne sont pas très bien répertoriés à cet endroit là, j’avais un peu peur de ce qu’il y avait aux alentours. C’était un moment magique, tu te demandes comment un morceau de roche peu apparaître à cet endroit là.

Comme toujours dans la vie « après la pluie, le beau temps ». Après avoir passé les 48 pires heures dans la pétole, on a eu des supers bons moments. J’essaye de mettre toujours autant d’engagement dans ma façon de naviguer, de continuer à préserver le bateau.

Ce qui est magnifique dans ce sport c’est que malgré tous les efforts, malgré les déconvenues, les coups d’arrêt, l’essence même de la course au large c’est de se mobiliser à 100%, donner le meilleure de soi, dans l’espoir que peut-être ça puisse payer. Parfois ça paye, parfois non. C’était pas facile de se remettre dans cet état d’esprit après le coup d’arrêt dans la molle, j’étais pendant deux jours en mode croisière, et puis le bon état d’esprit est revenu. Je me suis dit qu’il fallait que je donne tout jusqu’au bout et que si une opportunité de revenir se présentait il fallait la saisir. Pour être là où il faut, il faudra avoir donné tout ce qu’il faut avant : le but c’est d’avoir zéro regret à l’arrivée. C’est ce que j’ai mis dans mon petit carnet qui sommeille à côté de la table à cartes sur lequel je gribouille quelques mots.

Les mots qui résonnent sont « après la pluie, le beau temps », « garder de l’engagement et de la volonté ». C’est ce qui est beau, c’est un des seuls sports qui prend en compte un facteur aléatoire dans le résultat final. On dépend de la météo, on doit jouer avec ce facteur là, et c’est le seul facteur qu’on ne peut pas maîtriser. On peut contrôler tout le reste. Cela demande une espèce de capacité d’adaptation qui résonne particulièrement dans le monde dans lequel on vit. Sans adaptabilité on meurt. On s’adapte en permanence, et la capacité à s’adapter donne confiance aussi. Derrière chaque épreuve il y a toujours des moments de joie et on savoure encore plus. Cela renforce mon bonheur d’être en mer !

Je ne vous cache pas que je commence à regarder d’un coin de l’oeil le Cap Horn qui devrait arriver dans une dizaine de jours si tout va bien. J’ai hâte de retrouver des chaleurs un peu plus appréciables, Rio de Janeiro, Buenos Aires, les caipirinha… dans une quinzaine de jours on devrait retrouver ces conditions là ! Un jour après l’autre, mais je commence à y penser !

 

 

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