
27 Jan Ne pas penser à l’arrivée
Lundi 27 janvier, 11h14 TU, 28’32 Nord 42’02 Ouest
Si vous vous rendez sur la cartographie du site du Vendée Globe, vous verrez sur mon bateau l’inscription « distance à l’arrivée : 2000 milles ».
Deux mille petits milles. Une broutille lorsqu’on vient d’en parcourir 21 000 et en même temps, les derniers milles de tous les dangers !
C’est toujours dans les derniers kilomètres, proche de la maison, qu’arrivent les accidents, car on se sent arrivé, en sécurité, dans sa zone de confort. Or, il me reste en réalité presque une transatlantique à réaliser, un océan à traverser, un golfe de Gascogne dont on connaît la rage à cette période de l’année… Et lorsque je pense à tout ce qu’il peut se passer sur une Route du Rhum ou une Transat Jacques Vabre, il serait fou de penser que la messe est dite !
J’ai toujours pensé que la vie était comme une gigantesque mascarade. Une espèce d’immense pièce de théâtre qu’il ne fallait pas vraiment prendre au sérieux ! Comme disait Johnny : « soigne ton entrée et ta sortie, entre les deux, tu fais de ton mieux, tu te débrouilles » ! C’est vrai pour l’existence, c’est vrai pour le Vendée Globe ! Et il me reste encore un petit bout de chemin à parcourir avant d’opérer ma sortie de scène !
J’ai un mal fou à ne pas penser à l’arrivée. Dès que mon cerveau observe un petit moment de répit, il s’engouffre dans la porte du temps en direction du passage de la ligne d’arrivée, des retrouvailles, de la terre ferme ! Pourtant, je sais au fond de moi que le sésame repose dans la capacité à se projeter sur l’ultra court terme. Dès que mon esprit divague, je m’inflige de petites claques en m’écriant à voix haute : « qu’est-ce que tu fais là Pépin, c’est pas terminé ! C’est quoi la suite ? Ta prochaine manœuvre est prête ? Tu as mangé ? Tu as bu ? Tu as dormi ? » ! Rester concentré, garder son rituel intact pour ne pas infléchir sa trajectoire vers cette ligne d’arrivée qui me fait tant rêver est si difficile !
J’adore cette sensation que ces derniers milles vont se jouer dans la tête, au mental. Arsène Wenger m’a fait parvenir une petite vidéo hier dont les mots résonnent particulièrement aujourd’hui : « les véritables champions continuent là où les autres s’arrêtent ! »
Cette culture de l’opiniâtreté, je la tiens d’une personne dont je vous propose aujourd’hui d’en découvrir la plume, à défaut de vous badigeonner de la mienne !
Je crois qu’on est tous le fruit d’une construction. Je me souviens d’ailleurs que Tanguy Le Turquais (le fameux petit kangourou qui me colle aux basques avec son bateau rose depuis le Cap Horn), lors d’un mariage m’avait glissé à l’oreille : « je comprends beaucoup mieux qui est « pépin » maintenant que j’ai rencontré tes parents ! »
Un peu de l’un, un peu de l’autre. Alors là où mon papa est davantage l’as des phrases courtes comme : « qui ose, gagne», « qui s’immerge, émerge », « rien n’est écrit, tout s’écrit », « c’est la fin de quelque chose et le début d’autre chose », je vous propose de vous livrer pudiquement aujourd’hui l’indicible plume d’une maman dont on oublie trop souvent à quel point il est délicat de laisser un enfant s’envoler vers l’aventure :
« Tu dois être en train de fredonner « Viens danser.. la la la.. les sunlights des tropiques de G.Montagné ». La musique de l’équateur ! Encore une ligne qui me coupait de toi , virtuellement… Un fil rouge invisible nous relie à toi chaque instant dans cette aventure hors normes.. Les dorsales entraînant le clapotement des voiles dans une mer apaisée, ralentissant ta progression vers nous. Un calme temporaire qui, selon les humeurs et les caprices d’Éole et de Neptune, se transforme en compagnon de colère ! Il faut composer avec ce tempérament capricieux de ces divas, davantage leur sourire et applaudir quand ils te laissent passer sans encombre au milieu de leurs jupons aux multiples plis. L’équateur, la Mitad del Mundo!! Pour la deuxième fois tu coupes le monde en deux comme une orange et en un petit saut tu l’enjambes pour mieux prendre tes jambes à ton cou et t’en éloigner.. vers le Nord ! Il pleut il fait de plus en plus froid.. « c’est le Noooord », qui sont à travers ce côté de la famille, aussi un peu tes racines! Et oui, tu vas retrouver cet Aatlantique nord et surtout recroiser ces Açores qui t’ont traumatisé lors de ta dernière avarie mais ont fait de toi un marin plus expérimenté encore. Un petit mousse qui après ces 7 années d’une intensité folle, d’un travail acharné, d’une constance de résilience, d’apprentissage renouvelé, de sacrifices , de déceptions en satisfactions, tu t’es étoffé jusqu’à devenir complet à l’assaut de cette expérience inégalée. Tu nous fais découvrir la plus belle philosophie de vie qu’un terrien ne peut atteindre qu’avec l’expérience d’une vie entière: la vie est une fête ! On chute on se relève, on continue ! L’aventure coûte que coûte car on aime ça! Alors ce courage qui est ta boussole, la peur ton copilote( piquée au texte magnifique du Vendée live) te permettront de poursuivre cette route tortueuse que tu as empruntée. La parcourir jusqu’au bout qu’importe le passage des nids de poule et même avec une roue arrière dégonflée ou crevée ou les cicatrices d’une structure sursollicitée. Ton ultime défi mon fils consiste à continuer quoi qu’il se dresse sur la route et rouler… Rouler jusqu’au stop d’une nouvelle et dernière ligne.. Alors, Vis sous l’équateur des tropiques.. profite. C’est magique 🎶 !
Baisers
Maman »
Merci à ces parents qui m’ont toujours appris à suivre des chemins qui ne mènent pas à Rome !
Carnet de bord rédigé pour Le Télégramme.
SUIVRE LA COURSE :