Mille milles

Vendredi 31 Janvier, 10H05 TU, 16ème position :

On a passé les Açores hier soir, on est passé pas très loin d’une petite île qui s’appelle Flores que je connais plutôt bien parce que lors de la dernière course que j’ai faite, qui devait m’amener jusqu’à New York j’étais allé jusqu’à Flores. Ça m’a fait un petit pincement au coeur de passer à côté de cette île, je me rappelle il y a quelques mois m’être retrouvé arrivant tout seul accueilli par des pêcheurs qui avaient amarré le bateau à une boule d’une petite Peugeot rouge sur le quai. C’était assez lunaire, j’étais allé manger un morceau et boire un petit verre de rouge dans le seul restaurant du coin. Ensuite j’étais retourné dormir tout seul dans mon bateau cassé en attendant que l’équipe technique arrive le lendemain.

J’ai eu une petite pensée émue en me disant que cette fois ci je n’avais pas envie de m’arrêter aux Açores. Ça m’a rappelé à quel point il pouvait se passer mille choses entre les Açores et les Sables d’Olonne. C’était une jolie piqûre de rappel. Ça m’a aussi rappelé toutes les difficultés qu’il a fallu surmonter ne serait-ce que pour être sur ce Vendée Globe. Être à mille milles de l’arrivée c’est quand même quelque chose !

On est bien concentré ! Je ne suis jamais allé aussi vite depuis le départ, ça fait huit heures que je suis à plus de vingt noeuds de moyenne, et pour autant j’ai l’impression que le bateau ne souffre pas dans l’effort. Ça va très vite, la vie à bord n’est pas facile mais je ne sens pas le bateau en souffrance. C’est pas le moment de se reposer, en même temps, j’aurais tout le luxe d’après l’arrivée pour me reposer. Il ne faut pas taper quelque chose, il ne faut pas d’avarie avant la fin. On a fait une nuit à 2 noeuds plus vite que nos principaux concurrents, je suis 4 noeuds plus vite que Jean, 2 noeuds plus vite que Tanguy, 3 noeuds plus vite que Conrad. C’est assez exceptionnel, on a réussi à faire une nuit au rythme des foilers ! J’ai même collé une dizaine de milles à Alan Roura. Il n’y a que Damien Seguin qui a réussi à aller plus vite. Je suis assez content de la vitesse du bateau, d’autant plus qu’on a quelques ressources en moins, des voiles en moins, on ne peut pas tout utiliser. Il faut user d’ingéniosité pour faire avancer le bateau vite malgré nos quelques blessures.

Je suis super fier de faire avancer le bateau à cette vitesse là. Là il va falloir bien tenir ça, être bien vigilant, on a encore 48heures avec du vent soutenu, la fin s’annonce être une grande kermesse ! Il va y avoir d’un seul coup plus de vent, les modèles s’accordent à dire qu’on va terminer dans du vent très faible et donc dans quelque chose d’aléatoire. Pour combattre cet aléatoire l’objectif (ne le dites pas à mes concurrents) il va falloir que je me positionne entre mes concurrents et la ligne d’arrivée pour sécuriser ça. Je m’étais fixé comme objectif de sortir en tête de la dorsale, puis j’ai vraiment tout donné pour passer les Açores en tête. On ne nous l’enlèvera pas ! Et maintenant si vous tracez une droite entre mon concurrent le plus proche et la ligne d’arrivée, si je me situe toujours sur cette ligne, ça sécurise quand même un peu le jeu. Donc ma stratégie consiste un petit peu à regarder ce que vont faire les autres alors que jusqu’ici je me focalisais plutôt sur ma trace. Le seul hic, c’est quand tes concurrents commencent à faire des choses différentes car tu ne peux pas tous les contrôler et il faut faire des choix ! J’essaie de garder un bon mix avec ma propre trajectoire et la leur.

Je suis content aussi car hier, pour aller vite, j’aurai pu mettre le bateau dans des conditions qui n’étaient pas hyper sécuritaires mais j’ai eu la force de ne pas prendre de risque alors que cela me faisait perdre du temps et du terrain. Je me suis dis «  comment tu aurais navigué si c’était le premier jour du Vendée Globe ? » et c’est ce que j’ai fait. J’ai pris le temps de faire tomber les voiles que je n’utilisais pas, de les ranger dans le sac, de les matosser, de bien ferler mon deuxième ris. Ça me fait perdre du terrain mais j’espère que cela va payer.

Je ne suis plus trop dans l’aventure intérieure, je suis focalisé sur la course. Ça fait 81 jours qu’on est en mer et on régate comme sur une Solitaire du Figaro, bord à bord. Hier on a passé la pointe des Açores à vue avec Damien, Tanguy et Alan. Il y a une fatigue, je ne vous explique même pas, je ferme les yeux, je tombe, et on est bord à bord avec une intensité de régate qui est totalement folle et ça c’est exceptionnel !

J’espère que côté spectateur vous appréciez le spectacle et que vous réalisez à quel point c’est rare d’avoir ça à trois jours de l’arrivée, un dénouement complètement improbable !

Je suis bien à fond, j’ai quelques pépins physiques que j’essaie de régler. J’ai pris des anti-inflammatoires, j’ai une épaule dont le nerf s’est bloqué cette nuit mais l’adrénaline fait passer toute douleur.

Je touche du bois et je vous embrasse !

 

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