Rien n’est minuscule, pour qui sait regarder

Le 04/01/2025 a 13h08 TU
57’30 Sud
080’35 Ouest

Aujourd’hui est un jour exceptionnel, au sens propre du terme. Pour la première fois depuis le 6 décembre 2024, soit 30 jours, je viens d’apercevoir une forme qui s’était effacée de ma mémoire tant sa silhouette galbée s’était éclipsée au fil des milles parcourus. Il s’est dérobé derrière un nuage, comme si de rien n’était, comme s’il n’avait jamais bougé. Comme s’il me regardait discrètement du coin de l’œil et attendait patiemment le moment opportun pour réapparaitre. Sa pleine mère lui a, le temps de cette courte nuit, laissé faire une apparition mémorable. Il crevait le ciel par son arc angélique et sa cambrure infléchie : ce petit croissant de lune vient de m’offrir le plus simple et pourtant le plus beau des cadeaux – Rien n’est minuscule, pour qui sait regarder dit l’adage !

Plus tôt dans la journée, son compagnon le soleil lui aussi porté disparu depuis plusieurs jours était venu me rendre une visite inopinée des plus délicieuses. Ressentir, sa chaleur vitale, ses caresses dorées fut d’un réconfort inégalable. J’ignore pourquoi mais cette sensation de joie intense de retrouver ces complices égarés m’a fait penser aux paroles de Johnny : « qu’on me donne l’obscurité, pour que j’aime la lumière – qu’on me donne le jour, pour que j’aime la nuit » !

Et si toute la magie ambiguë de cette navigation autour du monde reposait sur cette pensée ; qu’avoir connu le pire donne le droit de savourer le meilleur !

Tous ces enchaînements de petits bonheurs firent sur moi une émotion décisive.

Avec la ferveur d’un enfant ébloui, je saupoudrais ces instants du seul ingrédient indispensable à la vie : la musique ! Goldman, Brassens, Sanson, Renaud, Cabrel et bien sûr Murray Head se succèdent tour à tour pour anoblir cette parenthèse enchantée.

Je suis transpercé de bonheur. Il envahit chaque partie de mon corps. Les larmes montent de toutes parts. Inépuisables. Joyeuses. Je ressens une gratitude infinie car tous ces moments si douloureux sur ce Vendée Globe, toutes les tempêtes, cette fatigue, ces périodes d’angoisse absolue, ces cris de désespoir, ces soifs d’en finir, ces frustrations valent le coup d’être vécues si c’est pour ressentir ne serait qu’une seule fois ce bonheur hors du temps.

Je suis heureux car je suis là où je dois être au moment où je dois l’être ! C’est ça le bonheur ! Mais on n’y arrive pas par hasard. Comme disait D’Ormesson : « La vie n’est pas une fête perpétuelle, c’est une vallée de larmes. Mais c’est aussi une vallée de roses. Si vous parlez des larmes, il ne faut pas oublier les roses et si vous parlez des roses, il ne faut pas oublier les larmes. » Alors Merci pour les roses, et merci pour les épines!

Dans quelques heures maintenant, je vais franchir le mythique Cap Horn, ce vieil ami que je retrouve quasiment jour pour jour 11 ans après. À 22 ans, lorsque j’avais entrepris de faire le tour de la planète, en stop cette fois ci, j’avais eu la chance inouïe d’embarquer au départ d’Ushuaia, vers l’Antarctique, sur l’Esprit d’Equipe, légende de la course au large transformé en voilier de croisière australe. J’avais à cette occasion aperçu le fameux Cap Horn mais sans vraiment le franchir au sens d’Ouest en Est !

Un simple aperçu pour faire connaissance. C’est qu’il avait l’air timide sous ses airs de grand gaillard sûr de lui. Le 1er Janvier 2013, je lui ai jeté un dernier regard ébloui avant de mettre le cap au sud. Ce même jour, François Gabart franchira lui ce même Cap Horn presque sous mes yeux, en tête du Vendée Globe, qu’il remportera avec le bateau avec lequel je navigue aujourd’hui. Et si la vie était bien faite finalement ?

Bon vent à tous !

 

Journal de bord pour le Télégramme 

 

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